Saturday, February 17, 2007

Vendredi 9 février
Plus inoui encore : cette fois plume a vu le pêcheur chinois inviter mon ébranleur à venir le rejoindre dans le tableau - ce qui fut fait en moins de temps qu'il ne faut à l'hirondelle pour rejoindre son nid. Jean-Sébastien était à l'orgue mais c'était le bon Dieu Lui-même qui déroulait Ses partitions en entrelacs infinis. D'en bas montait le gazouillis d'un poupon dans son berceau et cela sentait bon le basilic, le thym, la marjolaine et la lavande, avec ça et là une brise de citronnier en fleurs. Mon maître avait enfin fini de se taper la tête contre les parois de sa bulle - le voile s'était déchiré, il était libre !
- Alors ? Comment tu te sens ? fit le pêcheur.
- Eh ! A dire vrai je ne m'attendais pas à moins. Après tout c'est moi l'auteur du tableau...
- Je sais. Mais tu n'en es qu'au tout début. Dis d'abord bonjour aux deux phénix qui t'ont réveillé de tes torpeurs, ténèbres & hypnoses cartésiennes. Ils viendront se poser sur tes épaules ou se métamorphoseront en papillon, ou en ange - à toi de choisir. Ici chacun crée à chaque instant son propre monde selon son bon désir au millimètre près, bien qu'à proprement parler, tu as du le constater, l'espace ne peut plus se mesurer ici : il a disparu.

Et en effet, l'étendue s'était transformée en un point ultra-condensé qui réunissait dans une étreinte unique les innombrables rayons d'un cercle sans fin. Ubiquité instantanée, langue des oiseaux comprise et parlée, l'herbe, les tapis de paquerettes, coquelicots et boutons d'or qui couvraient les champs jusqu'à l'horizon (qui n'en était pas un car la mer s'était mêlée au soleil) bruissaient, bourdonnaient, solfiaient à qui mieux mieux dans un gent et doux murmure. Et c'étaient Orlando, Jean-Baptiste, Jean-Philippe, Georg-Friedrich, Joseph, Wolfgang, Ludwig, Franz, Robert, César, Claude, Igor, Eric, Maurice et tous les autres que mon bon maître reconnut aussitôt, airs chinois... tolmèques... brahamiques... un pâtre grec sur une colline fait isser de sa flûte une mélodie inconnue des oreilles d'aujourd'hui.. énigmatique... envoûtante... sons et harmonies de temps oubliés... odes archaïques à l'Aube... mélopées de l'Arabie heureuse...
- Il y a combien de cieux ? demande mon ébranleur, ravi, ébloui.
- Ici il n'y a plus de nombres. Transformation totale : toutes les formes sont ramenées en une seule. C'est l'entrelacement du Un en Deux, haut mystère !
Puis le peintre reconnut un couple de jeunesse s'isoler sur l'arche. L'homme et la femme observaient la forme ultra-condensée qui flottait devant eux dans les airs, radiante, musicale, odoriférante, variant à tout instant de teints et de nuances.
Mon maître fit un rapide croquis de la scène pour pouvoir en témoigner lors de son retour dans la sphère commune.
Puis sur sa demande le pêcheur prononça une formule et voilà mon patron qui se retrouve devant son chevalet, hébété, rajeuni, les yeux encore aveuglés par les dix-mille soleils du monde qui vient. Mais c'est l'heure du souper ; calme et grave il descend rejoindre sa muse aux yeux de lys.
Qu'il n'y ait aucun malentendu : plume est ici la première à se rendre compte de la difficulté mentale pour certains à suivre son envol... Mais ne faut-il pas un grain de poésie en tout ? Pourrions-nous vivre sans soleil ? Aussi plume arrête-t-elle ici sa tâche, avant que rouille & teigne ne l'attaquent, heureuse d'avoir pu fidèlement transmettre les déconcertantes aventures de celui qui la branle.
MN
NB : à part le titre du tableau "Couple de phénix etc.", les mots en italique sont des citations de l'oeuvre d'Arthur Rimbaud "L'espace pictural est un mur,
mais tous les Oiseaux du monde y Volent librement"

Nicolas de Staël

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