Monday, February 19, 2007

zoom sur le Sphinx et sa muse dans le Golfe du Lion à Marseille veillant sur la ville vus d'avion approchant la barrière espace-temps

RELATION de QUATRE INCIDENTS
SURVENUS dans le GOLFE du LION
à l'EMBOUCHURE du RHONE
à MASSILIA
près de l'ANSE de la FAUSSE-MONNAIE
au BOUT de la RUE d'ENDOUME
en ce MOIS de FEVRIER MMVII D.G.


Plume doit ici avertir : que celui ou celle qui pénètre dans ce texte suspende et laisse au vestiaire ses mentales habitudes & repères courants - car il passe dans un lieu de poésie et de peinture pures où règnent des lois & codes inconnus de la sphère commune.

D'autre part : en disant ce texte à haute voix de manière à faire résonner et rebondir sa vertu il et/ou elle contribue efficacement à sa mise en place festive.

Saturday, February 17, 2007

Mardi 6 février
De grâce, lorsque le lecteur ou la lectrice aura fini de prendre connaissance de ce message il ou elle est prié(e) de ne pas tirer des conclusions trop hâtives quant à la santé d'esprit de son auteur tant il est vrai que plume elle-même ne parvient pas encore à réaliser ce qu'elle est chargée par son maître de raconter ici...
La scène se déroule voici comment.
L'auteur de cette missive, sobre, froid quoique possédé par l'intense joie de vivre, est en train d'écrire quelques vers à son bureau-chevalet tout en écoutant d'une oreille parallèle les sons tantôt hard tantôt soft sortant du saxo de Charley "Bird" Parker. C'est la troisième heure du soir, sa muse aux yeux de lys est en bas un livre en main allongée sur le canapé, la nuit est déjà tombée, il fait doux, la fenêtre est ouverte, un cigare brûle. Contre le mur à droite, une peinture, terminée, est en train de sécher : "Couple de phénix sur une branche de cerisier dans un paysage chinois".
Zoom
Tout en notant sa bouffée de poésie (un truc sur le Hollandais volant) et tandis qu'il jette de temps en temps un coup d'oeil oblique sur ce paysage chinois, histoire de trouver d'éventuelles améliorations, il s'aperçoit que les ailes à peine séchées des deux petites boules de duvet se mettent à vibrer - et devant ses yeux ébahis, éblouis, il voit le couple (jaune, rose et éméraude, le mâle avec une huppe bleue) battre les ailes, s'envoler du tableau, faire quelques tours, se poser adroitement devant lui sur le bord du bureau - et plus frapadingue encore, le mâle ouvrir son bec et dire d'une voix aussi irrésistible que malicieuse :
- Qu'écrivez-vous donc ô créateur de ma forme, couleurs et belle huppe ?
Et mon maître, jouant le jeu, fondamentalement disponible pour tous les possibles, surtout les plus impossibles, de répondre sans hésiter :

- Un poème sur le Hollandais volant... Quelqu'un devrait quand même noter ce que ce marsouin des mers polaires a pu vivre tout au long des siècles où il va cinglant les sept océans ! J'ai sept strophes prêtes. D'ailleurs, toute l'épopée se résume en ces sept strophes. Voulez-vous écouter ?
- Avec grand plaisir ! s'empressent de répondre les piafs facétieux.
- Bien :

Il serait intéressant
de faire parler dans un long poème
le Hollandais volant

Quels seraient ses thèmes ?
Qu'a-t-il vu de l'autre côté
des océans et du temps ?

Mais il n'ouvrira sa bouche salée
non pas pour les ex-humains
que pour le Juif errant

A lui il consentira à raconter sans frein
tout ce qu'il y a vu d'incroyable
ah ! quelle épopée ! un épais roman

"Les cités dorées perdues dans le sable
tressaillent au coeur des fontaines
m'ont imploré : rendez-nous notre temps"

il dira, sans haine
l'épreuve est finie
à nouveau le Hollandais volant est captif du temps

non seulement lui
mais Ahasverus, le Juif errant
lui aussi tout autant

- Saperlipopette ! s'exclame la femelle en battant ses mignonnes petites ailes - puis les deux boules multicolores pftt ! s'envolent par la fenêtre ouverte pour disparaître dans le grand espace ouvert.

Et en effet, les deux volatiles manquent là, sur la branche du cerisier... S'agit-il d'une hallucination ? Est-ce que les anges lui jouent un tour ? Est-ce que soudain les bornes & limites physiques s'entremêlent, la réalité est-elle devenue une fantaisie enchantée, une féerie actionnée ? Une nouvelle dimension se met-elle en place, ici ?

Très probablement, car le lendemain matin les deux petites bêtes se balançaient à nouveau sur leur branche de cerisier favorite comme si de rien n'était...
Le mâle répond au nom de Tonnerre Volant ; la femelle s'appelle Petit Trésor. Méfiez-vous : elles pouraient repartir et quitter votre écran d'un coup d'aile...
Conclusion : les miracles, alléluia, n'ont pas encore déserté ce bas monde.
Avis aux pessimistes !


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Mercredi 7 février
Nouvel incident : en scrutant de près le tableau "Couple de phénix sur une branche de cerisier dans un paysage chinois " à la recherche d'autres mystères imprévus, son auteur a vu dans l'herbe près du ruisseau derrière le petit pont ...une tortue - qu'il n'avait absolument pas dessinée !
zoom
De belle taille, royale elle avance, glisse d'un placide pas, goûte et mord l'herbe, lève la tête, échange des regards complices avec les deux piafs farceurs sur leur branche, puis hé ! sacrébleu ! ne se met-elle pas elle aussi à quitter la surface de la toile ? Voilà que la ninja s'amène près de la chaise de celui qui est en train d'écrire ces lignes, se hisse contre sa jambe et demande, comme si la chose allait de soi, d'une très jolie voix de princesse :
- Mets-moi ta harpe d'Eole sur le dos camarade, je suis Inondatrice de Joie !

Avec de la super-glue ce fut vite et bien fait.

- Maintenant je peux chanter et répandre sans plus de restrictions mes liesses ami, une gente petite brise suffit. Vois-tu toutes ces ondes bonnes s'élancer de ces cordes ? Elles font le tour du monde, reviennent, repassent à nouveau par l'instrument, s'amplifient ...jusqu'à ce que la rosée de leur félicité parfaite inonde les dix-mille êtres qui sont, furent ou seront. Je suis la Reine de l'Occident ! Merci camarade pour ton aide - sans adieu !
Et la tortue se tourne, parcourt de son imperturbable pas la distance qui la sépare du tableau pour sauter et disparaître, après encore un clin d'oeil dévastateur ô combien ravageur, hopla ! dans la toile.

(Pour ceux et celles qui auraient des difficultés à croire à cette histoire, écrite néanmoins selon les plus strictes critères de la vérité, nous les invitons à transcender les vieilles bornes mentales et à intégrer une notion plus intuitive des mystères de Dame Vérité, source jouissive & jouissante illimitée de bonus, extras et bienfaits.)

La charmante bête répond au nom de Joli Sabre ; mais c'est "Ernestine" dans le privé et pour les intimes. Là encore prenez garde, la ninja serait tout à fait capable de déserter votre écran et vous pourriez croire que vous êtes Dieu du ciel en train de devenir fou !
...Si cependant d'aventure Ernestine tente de sortir de votre écran à vous aussi, n'hésitez pas, donnez-lui alors une place métaphorique bien au chaud, adoptez-la dans votre coeur ; là elle entendra tout ce qui y résonne ...pour en amplifier le meilleur, car croyez-la bien, c'est là son rôle de Reine du Couchant !

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Jeudi 8 février
zoom

Toujours plus incroyable.

(Le lecteur ou la lectrice que cela ennuie de lire ces bluffantes histoires est prié/e ici de descendre du train - après tout, ce ne seront certainement pas la paresse mentale et/ou le manque de foi au miracle qui freineront plume dans son rôle de témoin véridique de scribe impartial...)

C'est à nouveau la
troisième heure du soir. Calme, assis à son bureau, toujours autant pénétré par la grande joie de vivre qu'avec une intensité maximale détaché de toute chose, mon maître (plus rien ne l'étonne) voit le pêcheur tao du tableau se détacher, sauter au sol, devant lui grandir à taille humaine, prendre les allures d'un Dieu hindou, exécuter un puissant pas de danse, et l'entend dire :
- Devine ce que je t'ai apporté...
Toujours bien inspiré, car naturellement ouvert aux événements les plus insolites (seul l'improbable est probable), mon patron de répondre tout de go :
- ...Le tambour de Rimbaud !
- Tout juste. Regarde, c'est un sablier. Dans le compartiment supérieur règne le ciel. En bas c'est la terre. La terre reçoit le sperme, le temps qui coule d'en-haut. Au début un écoulement imperceptible. A la fin le flux se précipite. Pour remettre le temps en marche il faut retourner le sablier, et c'est le nouveau temps ! Un coup de ton doigt sur le tambour décharge tous les sons et commence une nouvelle harmonie. Un pas de toi, c'est la levée des nouveaux hommes en-marche. Ta tête se détourne : le nouvel amour ! Ta tête se retourne - le nouvel amour !
- C'est ce qu'il nous faut !
- C'est bien ce que je pense. Je te le prête. Son écrin est une émeraude, fournie par la Jérusalem céleste. Un petit avant-goût en somme... Tambour, graal, sablier : tous les chemins mènent à moi. Sur ce, sans adieu camarade, nous serons bientôt appelés à nous revoir !

Après quoi, plus rapide qu'un battement de cil, il reprend sa taille initiale, se dirige vers le tableau, fait encore un geste amical, avec grande élégance saute dans la toile et se fige à sa place près du petit pont canne à pêche en main, les pieds dans le clapotis de l'eau. Sage sans âge.

Quoi ! Plume affirme ici, avec la plus extrême rigueur, que son maître au moment des faits n'était ni ivre ni sous l'emprise d'une quelconque substance hallucinogène, dont du reste il ignore l'usage ; de toute façon, plume ne s'abaisserait pas à servir un maître trop peu scrupuleux quant au respect de la vérité une et essentielle, et encore moins consentirait-elle à noter des fariboles ou des mensonges - ce n'est pas là son cup of tea.

"Nous sommes appelés bientôt à nous revoir " a dit le Dieu hindou.
Quelle suite allaient donc prendre les évènements ? Quelles nouvelles merveilles se cachaient encore dans le tableau, décidément intarissable ? Le ciel et les nues allaient-ils chanter ? Soleil et mer se mêler enfin ? La terre se mettre à jubiler ? Le ruisseau lui-même déborder, la Mère-carpe sauter vers le ciel et se placer, messagère des Immortels, sur le dos du Dragon d'or à côté d'Inondatrice de Joie, Ernestine la tortue ?

Hé, qui sait ?
Suite au prochain numéro..!

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Vendredi 9 février
Plus inoui encore : cette fois plume a vu le pêcheur chinois inviter mon ébranleur à venir le rejoindre dans le tableau - ce qui fut fait en moins de temps qu'il ne faut à l'hirondelle pour rejoindre son nid. Jean-Sébastien était à l'orgue mais c'était le bon Dieu Lui-même qui déroulait Ses partitions en entrelacs infinis. D'en bas montait le gazouillis d'un poupon dans son berceau et cela sentait bon le basilic, le thym, la marjolaine et la lavande, avec ça et là une brise de citronnier en fleurs. Mon maître avait enfin fini de se taper la tête contre les parois de sa bulle - le voile s'était déchiré, il était libre !
- Alors ? Comment tu te sens ? fit le pêcheur.
- Eh ! A dire vrai je ne m'attendais pas à moins. Après tout c'est moi l'auteur du tableau...
- Je sais. Mais tu n'en es qu'au tout début. Dis d'abord bonjour aux deux phénix qui t'ont réveillé de tes torpeurs, ténèbres & hypnoses cartésiennes. Ils viendront se poser sur tes épaules ou se métamorphoseront en papillon, ou en ange - à toi de choisir. Ici chacun crée à chaque instant son propre monde selon son bon désir au millimètre près, bien qu'à proprement parler, tu as du le constater, l'espace ne peut plus se mesurer ici : il a disparu.

Et en effet, l'étendue s'était transformée en un point ultra-condensé qui réunissait dans une étreinte unique les innombrables rayons d'un cercle sans fin. Ubiquité instantanée, langue des oiseaux comprise et parlée, l'herbe, les tapis de paquerettes, coquelicots et boutons d'or qui couvraient les champs jusqu'à l'horizon (qui n'en était pas un car la mer s'était mêlée au soleil) bruissaient, bourdonnaient, solfiaient à qui mieux mieux dans un gent et doux murmure. Et c'étaient Orlando, Jean-Baptiste, Jean-Philippe, Georg-Friedrich, Joseph, Wolfgang, Ludwig, Franz, Robert, César, Claude, Igor, Eric, Maurice et tous les autres que mon bon maître reconnut aussitôt, airs chinois... tolmèques... brahamiques... un pâtre grec sur une colline fait isser de sa flûte une mélodie inconnue des oreilles d'aujourd'hui.. énigmatique... envoûtante... sons et harmonies de temps oubliés... odes archaïques à l'Aube... mélopées de l'Arabie heureuse...
- Il y a combien de cieux ? demande mon ébranleur, ravi, ébloui.
- Ici il n'y a plus de nombres. Transformation totale : toutes les formes sont ramenées en une seule. C'est l'entrelacement du Un en Deux, haut mystère !
Puis le peintre reconnut un couple de jeunesse s'isoler sur l'arche. L'homme et la femme observaient la forme ultra-condensée qui flottait devant eux dans les airs, radiante, musicale, odoriférante, variant à tout instant de teints et de nuances.
Mon maître fit un rapide croquis de la scène pour pouvoir en témoigner lors de son retour dans la sphère commune.
Puis sur sa demande le pêcheur prononça une formule et voilà mon patron qui se retrouve devant son chevalet, hébété, rajeuni, les yeux encore aveuglés par les dix-mille soleils du monde qui vient. Mais c'est l'heure du souper ; calme et grave il descend rejoindre sa muse aux yeux de lys.
Qu'il n'y ait aucun malentendu : plume est ici la première à se rendre compte de la difficulté mentale pour certains à suivre son envol... Mais ne faut-il pas un grain de poésie en tout ? Pourrions-nous vivre sans soleil ? Aussi plume arrête-t-elle ici sa tâche, avant que rouille & teigne ne l'attaquent, heureuse d'avoir pu fidèlement transmettre les déconcertantes aventures de celui qui la branle.
MN
NB : à part le titre du tableau "Couple de phénix etc.", les mots en italique sont des citations de l'oeuvre d'Arthur Rimbaud "L'espace pictural est un mur,
mais tous les Oiseaux du monde y Volent librement"

Nicolas de Staël

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